Stéphane Dafflon - Un espace musical de la forme

Fokus

Le travail de Stéphane Dafflon a conquis progressivement une autonomie formelle et un langage propre faisant écho aux abstractions successives, de l'art concret des années 1950 au design graphique. Sa clé de voûte demeure sa relation à l'espace. Fri Art donne carte blanche à un artiste qu'il fut l'un des pre­miers à présenter, il y a dix ans.

Stéphane Dafflon - Un espace musical de la forme

Il y a tout ce que ce travail est et tout ce qu'il n'est pas. Il y a tout ce qu'il suggère, ce qu'il esquive, ce qu'il appelle, ce sur quoi il est difficile de mettre des mots. Le public de l'art qui se serait arrêté à ses premiers développements dont l'impact visuel s'avérait déjà très efficace, associe généralement Stéphane Dafflon aux années 1950 de l'art (concret) et aux années 1970 de la mode et de la communication : bords arrondis de rectangles multipliés, tels les motifs d'une tapisserie, dans l'espace de la toile. Cela, c'était hier. Aujourd'hui, l'artiste travaille plus lentement, plus en profondeur, avec une conscience plus aiguë des possibilités et des limites de son langage visuel.

Niveaux d'espaces

La question de l'espace, chez Stéphane Dafflon, intervient à plusieurs niveaux qui se croisent, se répondent et correspondent à des moments dans la production de son oeuvre. Il y a d'abord l'espace informatique, avec ses possibilités de combinaisons infinies, par lequel il passe lors de la phase « créative » de composition et de recherche des couleurs. Il y a ensuite l'espace de l'atelier et du tableau. Sur la toile, les formes sont organisées tantôt par un jeu de grilles répétant les motifs, en partant des bords du tableau ou en jouant avec eux, tantôt de manière plus libre et intuitive. Au début, l'espace du tableau était clairement bidimensionnel et servait de fond aux figures géométriques ; il est progressivement devenu perspectif, par le croisement et la superposition des figures, puis, dans certains travaux récents (que l'artiste nomme ses peintures de « piques »), l'illusion d'une fuite.
Il y a enfin l'espace réel de l'exposition. Pour son premier projet personnel, ‹Airless›, Air de Paris, 2000, l'artiste a montré d'emblée à quel point l'espace de présentation de ses oeuvres était pensé comme un prolongement de leur champ d'action. Jeff Rian affirme qu'il y avait là, dans ‹Airless›, une sorte d'oeuvre d'art totale (ou « synthétique ») où même le son de la voix était modifié, une entité potentiellement transférable en un autre lieu, à l'image d'un intérieur de navette spatiale, « assez de portance suggérée pour défier l'apesanteur ». Les résonances particulières d'un espace, ses volumes et les perspectives qu'il dégage sont souvent le point de départ à l'élaboration de ses projets. Il lui est ainsi arrivé de faire descendre un faux plafond pour modifier la perspective d'une salle, de jouer de la présence d'un miroir pour complexifier la structure d'une peinture murale. Cette dernière technique, par sa relation directe à l'architecture dont elle modifie la perception, comme un tatouage sur la peau, lui permet d'agir sur elle, en effaçant de manière illusionniste les transitions (passage à angle droit d'un mur à un autre) qu'elle impose, soit en arrondissant les angles, soit en y appliquant des lignes et des motifs continus. Il crée ainsi des zones flottantes qui donnent l'impression d'une ouverture à un autre espace, illimité.

Musicalité, rythme
À quelques semaines du vernissage de Fri Art, trois tableaux, des shaped canvas, sont accrochés aux murs du garage-atelier que Stéphane Dafflon occupe actuellement sur les hauts de Lausanne. Le premier est un triangle contenant, en son centre, un cercle ; le deuxième un cercle contenant, en son centre, un triangle ; le troisième, nettement plus petit, un triangle contenant un autre triangle. Chacun pose la même question : les figures géométriques intérieures sont-elles la cause ou la conséquence de l'économie formelle qui s'y déploie ? Y a-t-il, sur la première toile, un cercle blanc entouré de formes rouge, rose et bleue, ou ne serait-ce pas plutôt la présence de ces trois formes colorées, à chaque extrémité du triangle, qui ferait apparaître un cercle blanc par défaut ? Autrement dit, le cercle est-il conçu comme un espace ou un motif ? Par le choix des couleurs, l'artiste a cherché à établir des effets visuels d'éloignement ou de rapprochement de certaines parties du tableau, établissant ainsi une dynamique rétinienne spécifique (switch). Depuis qu'il travaille à ces compositions, plus élémentaires, il n'utilise plus l'ordinateur que pour visualiser ses intuitions, vérifier les proportions et la construction des tableaux. La musique, quant à elle, reste une source d'inspiration constante. Elle révèle notamment son influence dans le rapport entre les associations chromatiques, la nature des formes et leurs relations entre elles ainsi qu'à l'espace qui les contient ou les soutient. Étroitement liée à la nature abstraite des tableaux, cette musicalité se décline en nappes sonores (superposition, étirement des motifs), séquences rythmiques (répétition des motifs sur un seul plan ou en perspective) et le plus souvent en un mélange de tout cela traversé parfois par la complexité supplémentaire d'un jeu de torsions. Une musicalité qui nait également de la variation des textures et de la modulation des formes, passant des graves aux aigus, avec des dominantes qui varient en fonction du choix des couleurs, de leur organisation et degré de saturation.

Abstraction suggestive
Dans le cadre d'une exposition comme celle de Fri Art, le rythme rejoint l'espace pour se jouer à un niveau supérieur, dans le rapport créé entre les tableaux, le mur (nu ou support d'une peinture murale) et le sol. Dans l'espace du premier étage, des volumes colorés autonomes, cylindres et pliures, s'ajouteront aux oeuvres bidimensionnelles. Destinées à perturber l'espace, ces présences minimales se réfèrent également aux peintures, mais jouent leur partition sur un autre plan. Elles apparaissent comme l'émergence du monde de la fiction dans le monde réel, à la fois prémisses d'une possibilité de transfert de l'un dans l'autre et vestiges d'une utopie - leur présence au sol, assez basse, peut évoquer la ruine - dont le monde en deux dimensions de la fiction se serait avéré le plus à même d'accueillir la liberté combinatoire. Cette exposition, dix ans après la première de Stéphane Dafflon au centre d'art fribourgeois, devrait permettre à chacun de mesurer l'ambition de ce travail à l'abstraction suggestive qui rejoue à distance, comme en une suite d' « images-souvenirs » (Rian), le mouvement fluctuant des signes de la vie contemporaine.

Gauthier Huber est journaliste indépendant, enseignant et artiste.

Stephane Dafflon (*1972, Neyruz) vit et travaille a Lausanne et Paris

Expositions personnelles (selection)
2011 Stephane Dafflon Fri Art, Fribourg
2010 (avec Philippe Decrauzat), Evergreene, Geneve
2009 Galerie Francesca Pia, Zurich; Turnaround, Mamco, Geneve
2008 , Galerie Air de Paris, Paris
2007 Cocktail, Galerie Jan Winkelmann, Berlin; Statik Dancin, Frac Aquitaine, Bordeaux
2006 , Frac des Pays de la Loire, Carquefou
2005 , Galerie Francesca Pia, Berne; Silent Gliss, Circuit, Lausanne; Stephane Dafflon, Galerie Jan Winkelmann, Berlin

Ausstellungen/Newsticker Datum Typ Ort Land
Stéphane Dafflon, Lang/Baumann 10.09.201130.10.2011 Ausstellung Fribourg
Schweiz
CH
Künstler/innen
Stéphane Dafflon
Autor/innen
Gauthier Huber

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