Vanessa Billy — La vie matérielle

Fishbones (PET), 2021, imprimé en 3D en PET recyclé, 300 x 45 x 5 cm; Ribbon, 2021, pneu découpé, 6000 x 3 x 3 cm, vue d’exposition Kunsthaus Centre d’art Pasquart. Photo : Lia Wagner

Fishbones (PET), 2021, imprimé en 3D en PET recyclé, 300 x 45 x 5 cm; Ribbon, 2021, pneu découpé, 6000 x 3 x 3 cm, vue d’exposition Kunsthaus Centre d’art Pasquart. Photo : Lia Wagner

Photo : Gian Marco Castelberg

Photo : Gian Marco Castelberg

Fokus

Cet automne marque le retour romand de Vanessa Billy, avec deux expositions personnelles à la Villa Bernasconi de Lancy et au Centre d’art Pasquart de Bienne. Mélange de rétrospectives de dix-sept ans de travail et nouvelles productions, elles se concentrent sur le lien à l’humain et à l’environnement ainsi qu’à la gestion des ressources.

Vanessa Billy — La vie matérielle

Bien établie dans la région de Zurich et à l’international – notamment à Londres où elle a longtemps résidé –, cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu le travail de Vanessa Billy à Genève, d’où elle est originaire et où elle a grandi avant de partir pour ses études à Londres – sa dernière exposition solo ‹Vider la terre pour remplir le ciel› organisée à Piano Nobile datant de 2013. Et si ses préoccupations sont toujours – peu ou prou – les mêmes qu’à cette époque, force est de constater que les moyens qu’elle utilise, son vocabulaire formel et ses références plastiques ont passablement évolué. Conçues et organisées en parallèle, les deux expositions mid-career sont construites de manière thématique plutôt que chronologique, ‹Redevenir› à la Villa Bernasconi consacrée plus spécifiquement au corps humain et ‹We Become› à Pasquart à l’univers de la machine. Ce découpage n’est bien sûr pas strict et les dialogues sont nombreux autour des liens entres les formes de vies, l’évolution cyclique et la notion de transformation continuelle.

Que disent les matériaux ?
Travaillant principalement la sculpture et l’installation, Vanessa Billy a toujours été intéressée par les propriétés de la matière, à la fois dans sa physicalité et ses différents états de transformation. Le début de sa carrière est marqué par l’utilisation de matériaux bruts, souvent récupérés en extérieur ou sur les chantiers, qu’elle agence de manière minimale et poétique. Et si elle n’est pas formellement bavarde, les mots et les titres ont une importance particulière dans la compréhension de ses pièces, participant intégralement à leur création. C’est par exemple le cas dans ‹Wait, Sit, Converse›, 2009, association d’une pierre, d’un sachet plastique rempli d’eau et d’une boule de ciment façonnée par l’artiste. Préoccupée par la manière dont ses œuvres – sa production – impactent sur l’environnement, elle favorise l’utilisation de matériaux déjà existants qu’elle modifie peu, participant ainsi à leur cycle de vie et considérant également leur devenir le cas échéant. L’artiste favorise par exemple les réalisations in situ quand c’est possible. L’exposition ‹We Become› de Bienne ouvre ainsi sur d’immenses aliens, ‹Claws (Spider)›, 2021, œuvres temporaires composées de grappins destinés à saisir les détritus dans les centres de recyclage, empruntés avant leur prochaine destruction car eux-mêmes sont obsolètes !
Depuis quelques années elle crée aussi des formes avec des matériaux plus complexes ou techniques, et collabore régulièrement avec des spécialistes, par exemple des artisans verriers ou des scientifiques. L’aspect écologique des nouveaux matériaux l’intéresse particulièrement ; à Bienne elle a par exemple utilisé des matériaux issus du lin et du pet recyclé pour deux grandes sculptures aux allures d’arêtes de poissons préhistoriques réalisées à l’imprimante 3D, ‹Fishbones (Flax)› et ‹Fishbones (PET)›, 2021 – certaines œuvres étant carrément biodégradables !

Le corps humain en lien avec son environnement
Si l’humain et ses actions a toujours plané autour des pièces de Vanessa Billy (à défaut de les motiver directement), ce n’est que plus récemment qu’il s’est incarné pour devenir parfois tout à fait explicite. La première maternité de l’artiste a été l’occasion de ce nouvel axe, représenté en particulier par deux œuvres emblématiques, ‹Centuries›, 2016, sculpture de femme enceinte posée sur le ventre, dans un équilibre précaire (et pour elle rompu), sorte d’Atlas à l’envers ; ou de ‹Stranded›, 2015, représentant son enfant sur un tas infini de déchets, image très concrète du lien entre la vie humaine, la consommation et le devenir de la planète.
D’autres éléments du corps plus fragmentaires, comme des doigts, des dos, des ventres enceints ou des os se déploient à la Villa Bernasconi. Souvent traités de manière esthétique, ils évoquent des pétales, des coquilles, des fossiles, jouant entre le vide et le plein. Ils focalisent également sur la structure du corps et sa proximité avec d’autres formes organiques ou animales, voire issues de l’industrie. Avec ‹Vertèbres›, 2021, colonne vertébrale mal positionnée traversée de fils de cuivre, l’artiste rend visibles les connexions nerveuses et les circulations à cet endroit si crucial du corps, qu’elle matérialise dans un parallèle évident avec le domaine de l’électricité et des communications. Pour le dire autrement : elle donne une forme à ce que l’on ne voit pas forcément, objectif récurrent de sa pratique.

Passé présent futur : archéologie et dystopie
Passionnée – entre autres – par l’évolution des sciences et avide de littérature de science-fiction (notamment celle d’Ursula Le Guin), Vanessa Billy oscille entre le très-ancien et l’à-venir, dans une forme de constante dystopie. Ainsi, certaines créatures comme les crevettes, presque préhistoriques, reviennent souvent dans ses pièces, questionnant l’aspect mondialisé absurde de leur production et la proximité avec la forme du doigt. À la manière d’une archéologue, elle dispose sur du sable dans la pièce ‹Desert Beach›, 2012–2021, des crevettes en plastique, des moulages de doigts en résine, des fragments de bronze ou des chewing-gums, comme un résultat de fouilles qui reste énigmatique.
D’autres pièces en métal prennent l’empreinte d’os de poulets, l’un des déchets animaux les plus courants de notre époque ; les plumes des volatiles se retrouvent également dans ‹The Departed›, 2021, deux énormes ballots qui donnent une impression physique de cette masse de déchets non valorisés (des études étant en cours pour les transformer en bio-plastique). Ancrés dans le passé, ‹Bladders›, 2021, des vessies de porc séchées font référence aux premiers récipients des hommes/femmes préhistoriques, trouvaille sans doute aussi importante que la lance pour tuer les bêtes. Les deux expositions présentent également une série de nouvelles pièces issues de roues de tracteurs, découpées, moulées, déployées, brutes ou sublimées en métal, qui semblent prendre vie de plusieurs manières, parfois inquiétante. C’est le cas des ‹Centipedes›, 2020, duo de sculptures réalisées en silicone appliqué sur le profil d’une roue, avec des filaments évoquant des pattes ou des tentacules ; si la première version ‹Chenille›, 2019, se contente de ramper à Bienne, les créatures de Lancy se dressent en position mi-curieuse mi-menaçante, à la fois préhistoriques et futuristes. Devant les œuvres de Vanessa Billy, souvent d’une grande simplicité formelle, et témoignant d’une présence physique (voire sensuelle) particulière, nous sommes plongé-e-s dans un aller-retour de temporalités qui interroge aussi bien « ce qui reste » que « ce que ça pourrait devenir ».

Isaline Vuille, historienne d’art et commissaire d’expositions. isalinevuille@gmail.com

→ ‹Vanessa Billy – Redevenir›, Villa Bernasconi, Lancy, jusqu’au 14.11. ; ‹Vanessa Billy – Redevenir / We Become›, éd. Pasquart Kunsthaus Centre d’Art, Bienne et Villa Bernasconi, Genève, première monographie de l’artiste ↗ www.villabernasconi.ch
→ ‹Vanessa Billy – We Become›, Centre d’art Pasquart, Bienne, jusqu’au 21.11. (→ S. 80–82) ↗ www.pasquart.ch

Bis 
14.11.2021

Vanessa Billy (*1978, Genève) vit à Zurich

Expositions personnelles (sélection)
2019 ‹Impressions de vies›, Parc St. Léger Centre d’art, Pougues-les-Eaux, FR
2017 ‹Dear Life›, Centre culturel suisse, Paris
2016 ‹We Dissolve›, Kunst Halle Sankt Gallen ; ‹all is porous›, Galerie BolteLang, Zurich
2014 ‹Sustain, sustain›, Collective, Edimbourg

Expositions collectives (sélection)
2021 ‹Oil – Beauty and Horror in the Petrol Age›, Kunstmuseum Wolfsburg; ‹Schweizer Skulptur seit 1945›, Aargauer Kunsthaus Aarau
2020 ‹We Hybrids!›, Istituto Svizzero, Rome
2017 ‹Slow Objects›, The Common Guild, Glasgow
2015 ‹Demain dans la bataille, pense à moi›, Institut d’Art Contemporain, Villeurbanne

Ausstellungen/Newsticker Datum Typ Ort Land
Vanessa Billy — WeBecome 12.09.202121.11.2021 Ausstellung Biel/Bienne
Schweiz
CH
Redevenir — Vanessa Billy 04.09.202114.11.2021 Ausstellung Genève
Schweiz
CH
Künstler/innen
Vanessa Billy
Autor/innen
Isaline Vuille

Werbung