Môtiers 2011 - Quand raisonne la campagne
‹Môtiers, Art en plein air› présente sa sixième édition depuis 1985. Selon la tradition, la manifestation du Val-de-Travers a donné carte blanche à plusieurs générations d'artistes, dont la plupart vivent en Suisse. Le parcours, qui commence dans le village, emprunte ensuite des chemins champêtres et forestiers où l'art se glisse comme un allié ou un intrus.
Môtiers 2011 - Quand raisonne la campagne
L'affiche, signée Sylvie Fleury, est un rappel de l'édition précédente (2007) de Môtiers. On y reconnaît les champignons laqués aux couleurs artificielles qu'elle y avait montré au bord d'un petit chemin. De Ben Vautier à John Armleder, en passant par Claude Sandoz ou Roman Signer, beaucoup d'artistes sont désormais des habitués de la manifestation, qui, disons-le d'emblée, rassemble des oeuvres pensées avec plus ou moins de bonheur pour ce contexte particulier. Il faut dire que toutes les oeuvres ne sont pas montrées en « plein air » et, surtout, que Môtiers ne s'est jamais doté d'un thème particulier.
Le village, les rues et les recoins
L'exposition commence dès l'achat du billet dans un petit kiosque en bois situé devant la Maison des Mascarons, puisque Pascal Schwaighofer, ‹Sentimental mood›, y fait vaporiser un peu de térébenthine qu'il a distillée lui-même. Ensuite, ‹Penny Press› de Vincent Kohler permet au visiteur, invité à glisser une pièce de vingt centimes dans une petite presse à manivelle, de repartir avec la même pièce aplatie, ovalisée et estampillée d'une jolie petite tique (- p. 43). Comme les habitants du village ont été invités à accueillir des oeuvres dans leurs espaces privés, on en découvre dans des garages, des granges ou d'improbables passages. À l'exemple de ‹Hammam›, intervention discrète de Shahryar Nashat et Étienne Descloux PE-P, qui ont disposé horizontalement une série de perches dorées entre les murs rapprochés de deux bâtiments. Plus loin, une vidéo sur moniteur, ‹RUN›, tournée par Cristina Da Silva, documente une randonnée de motards, organisée par Olivier Mosset, qui avait fait halte à Môtiers en 2009. John Armleder a su jouer le jeu de l'intégration campagnarde avec ‹From here to there 1967›, un double dispositif métallique permettant de ramasser des boilles à lait pleines d'un côté de la route et de les laisser vides de l'autre. Sensualité désuète de ces récipients dont le nom, par ailleurs, demande au citadin une vérification lexicale et orthographique. On est assez séduit par l'idée de ‹Comfort #4›, de Lang/Baumann, qui rend visible par le parcours compliqué de tubes blancs gonflables le passage de l'air dans un grenier (- p. 40). Un peu déçu par ‹Char tuning› de Guillaume Pilet et Benjamin Valenza, non tant par l'idée que par sa réalisation un peu trop soignée qui, du coup, ne met pas assez l'idée du char à banc à distance. L'intervention ‹En route›, d'Eric Hattan, est l'une des meilleures de ce parcours. L'artiste est intervenu dans deux petits garages, empêchant à l'un l'accès automobile par une tige plantée dans un socle de béton, affichant dans l'autre, sur un vaste présentoir de cartes postales, des photos d'une centaine d'autres garages. Une oeuvre « en abîme » qui accélère la réflexion sur son propre contexte et utilise la nature environnante comme un élément dialectique intégré à son propos. On entre là dans une sorte de mémoire instantanée, voire une fiction vécue en temps réel. Plus loin, Roman Signer déçoit : d'où vient ce rail de fer écrasé sur son ‹Banc›, en bordure de chemin ? On aurait préféré que ce banc fût détruit, au moins, par la chute d'un arbre. L'inévitable Ben a inscrit un ‹Je suis bien ici›, certes à double sens, sur le toit d'une maison du village. Quant à ‹Du contrat social›, oeuvre et texte inscrit au néon par Alain Huck sur un tas de branches très « arte povera », elle est un peu fade par sa trop forte contextualisation devant la maison où vécut Jean-Jacques Rousseau durant son séjour à Môtiers.
La forêt, les champs
‹Le Musée Sainte-Lucie›, de Claude Sandoz, petite construction de bois peint et de métal située en contrebas d'un champ - l'endroit, verdoyant mais au sol un peu pelé, est bien choisi et pourrait ressembler, nous suggère Google, à certains décors naturels de l'île des Caraïbes, les palmiers en moins, bien sûr - réussit son pari de dépaysement. Ce n'est pas « le salon au fond d'un lac » de Rimbaud, mais les hallucinations de la fée verte, dont le Val-de-Travers est le berceau, ne sont pas loin. ‹Guardian›, de Sylvie Fleury, petit troll en posture méditative juché au-dessus d'une source, en joue bien, c'est vrai, le rôle de gardien. Heinrich Gartentor a construit une structure qui aurait dû permettre la création d'un glacier ; mais la relative douceur de l'hiver a fait de ce projet une utopie. Dans la forêt, cette fois, Fred Fischer a conçu ‹Crash test›, un ready-made composé de pierres peintes en noir et jaune utilisées lors de travaux publics pour tester des pentes ou des éboulis. Une pièce qui en rappelle une autre, présentée par Olivier Mosset lors d'une précédente édition de Môtiers, laquelle consistait en « toblerones » de pierre déjà présents sur le site. ‹Reversible sound wall›, de Gilles Aubry, un mur anti-bruit qui ne protège plus que du bruissement des feuilles et du chant des oiseaux, est une belle réussite, aussi bien sculpturale que poétique. Le duo Haus am Gern étonne par une oeuvre étrange, ‹Charlie's shoe tree›, un arbre (de vie) haut d'une dizaine de mètres, réalisé d'après une esquisse de 1837 de Charles Darwin. Un arbre « fleuri » par les paires de chaussures usagées lassées entre elles que les visiteurs sont invités à lancer dans ses branches stylisées. À mi-chemin entre Salvador Dali et les aires de jeux réalisées par la Protection civile. Kerim Seiler a étendu des draps colorés dans les champs ‹Sans titre›. Emmanuelle Antille et Christian Pahud ont construit une enseigne de parking avec radio FM diffusant aux visiteurs des messages d'habitants du village.
Môtiers, qu'est-ce que c'est ?
L'absence de thématique et le choix de la dissémination des oeuvres ont incité certains artistes à partir de l'existant, sur place, pour tenter un dialogue. Ainsi, Petra Köhle/Nicolas Vermot Petit-Outhenin ont-ils dupliqué, à quelques pas d'un monument dédié à « l'aviateur Martin », l'espace polygonal recouvert de gravier sur lequel il apparaît, mais sans le monument. On joue avec les arbres, comme Manuel Burgener qui a reconstruit un épicéa sur sa souche. Ou Matteo Terzaghi et Marco Zürcher qui utilisent des troncs comme supports à des images de romans-photos. L'idée de nature a inspiré un tipi à Denis Savary. Reste la question de la destination de ces oeuvres, du type de relation qu'elles entretiennent avec le reste du travail des artistes. La question, aussi, de la représentation que se font les artistes de la nature. Certains se plaisent encore à la mythifier, à l'exemple d'Étienne Krähenbühl et ses mobiles musicaux suspendus dans une grotte. D'autres l'envisagent en préoccupation sociétale, le réchauffement climatique chez Thomas Bonny, la déforestation chez Élodie Pong. Certains, comme Bernard Voïta, y présentent des sculptures autonomes auxquelles elle n'ajoute éventuellement qu'un charme supplémentaire : sa vespasienne, en effet, ici entourée de verdure, aurait un sens encore différent dans un garage souterrain ou un centre d'art aseptisé. Cette multitude de regards sur un même contexte nous en apprend, finalement, davantage sur le temps, les moyens et les ressources dont disposent les artistes placés en situation d'inconfort sur ce site « naturel » que sur une région - le Val-de-Travers - qui n'est qu'un morceau de campagne parmi d'autres.
Gauthier Huber (1971) est journaliste indépendant, enseignant et artiste.
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