Ingrid Wildi

Ingrid Wildi · Aquí vive la señora Eliana M?, 2003, DV, 68 min. (extrait) Le corps a-t-il une mémoire?

Ingrid Wildi · Aquí vive la señora Eliana M?, 2003, DV, 68 min. (extrait) Le corps a-t-il une mémoire?

Ingrid Wildi · Aquí vive la señora Eliana M?, 2003, DV, 68 min. (extrait), Tu n&acuteas pas de photo d&acuteEliana?

Ingrid Wildi · Aquí vive la señora Eliana M?, 2003, DV, 68 min. (extrait), Tu n&acuteas pas de photo d&acuteEliana?

Fokus

Ingrid Wildi présente au Centre d&acuteart contemporain de Genève une exposition individuelle qui sonde les mécanismes de la mémoire, la perception du réel et l&acuteimaginaire. Une exploration non dépourvue d&acutehumour qui nous conduit à franchir les barrières linguistiques et l&acuteocéan Atlantique.

Ingrid Wildi

De palabra en palabra

Grâce au prix Manor 2003 du canton d´Argovie, Ingrid Wildi a développé le projet «De palabra en palabra», une exposition et un catalogue, pour lequel ont collaboré le Kunsthaus d´Aarau et le Centre d´art contemporain de Genève. Après Aarau (6 mars au 25 avril 2004), Wildi donne la possibilité au spectateur romand de rebondir entre cinq pièces vidéos: «Kontinuum I», «Kontinuum II», «Si c´est elle?» «Quelque part?», une série de photographies et son dernier film, «¿Aquí vive la Señora Eliana M...?». La méthode récurrente de l´artiste est l´entretien, des discussions menées avec des protagonistes qui parlent le français, l´espagnol et le suisse allemand. «[?] Dans mes travaux, j´écoute des personnes, elles s´entendent elles-mêmes dans la vidéo, d´autres personnes les entendent à leur tour. Il y a comme un écho qui s´amplifie, de voix rebondissant d´avant en arrière1.»

L´écho entre les différents travaux se retrouve dans le langage formel des pièces et dans le propos des personnes interviewées. L´exposition regroupant des éléments distincts se révèle être une constellation caractérisée par une constante préoccupation pour la mémoire et la disparition. «Sauvegarder la mémoire c´est recueillir l´esprit d´une personne. Au fur et à mesure que se construit la mémoire, se construit la culture et inversement2.» Qu´il s´agisse de la description d´un objet, d´une femme, d´entretiens avec des projectionnistes dans leur cabine, les différents interlocuteurs décrivent à Wildi un objet absent, dont l´existence nous paraît soudain fictive. Grâce aux questions pointues, incisives, parfois insistantes de l´artiste, et au montage, l´appréhension du réel et sa combinaison avec l´imaginaire sont interrogées, car les certitudes s´amenuisent au fil des réponses.

«J´ai dit aussi le mur de Berlin, cinq ans avant que ça arrive.» C´est avec ces paroles que commence «¿Aquí vive la Señora Eliana M...?» (68 min.), un documentaire que l´on pourrait qualifier de vidéo-essai. Ces propos sont tenus par la mère de Wildi, Eliana M, qui vit au nord du Chili. Cette femme retrouve la trace de personnes disparues et annonce les désastres. Eliana M a disparu alors que sa fille Ingrid était encore enfant. Née à Santiago de Chili en 1963 et émigrée en Suisse alémanique à l´âge de 18 ans, Wildi part en 2003 pour son pays natal sur les traces de sa mère et réalise à cette occasion un film aux enjeux multiples.

Bien plus long et complexe que les autres vidéos, «¿Aquí vive la Señora Eliana M...?» aurait aussi sa place dans un festival de films documentaires. Voyage de la capitale à une province éloignée, rencontres avec les membres de la famille M dont le frère d´Eliana M, anesthésiste... Au fil de la quête et des discussions, une trame narrative se tisse et profile les idiosyncrasies de la société chilienne. Car c´est bien eux-mêmes et leur vie quotidienne que les gens décrivent, alors que Wildi les interroge sur sa mère. La parole est fragmentée et le récit nous rapproche de la figure absente, allégorie d´une histoire impossible à saisir dans sa totalité, à se remémorer. La référence à la «tradition» chilienne des disparus politiques n´est pas innocente, et Wildi fait partie d´une communauté de chercheurs qui tente de porter aujourd´hui un regard critique sur la représentation que s´est fait habituellement l´Europe d´un pays tel que le Chili. L´utilisation de la vidéo reste la même que pour les autres films, crue et brute, affirmant une rigueur et une simplicité qui préservent l´auteur de toute forme d´exotisme.

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