Guillaume Pilet - Seconde nature
L'artiste lausannois expose ses toutes nouvelles pièces à la galerie Blancpain Art Contemporain. Un bestiaire exotique de terre cuite et une vingtaine de toiles, parfois sauvages, regroupés sous l'intitulé «Pixuresque» - un titre qui mélange les idiomes entre français et anglais.
Guillaume Pilet - Seconde nature
Sur son carton d'invitation à la galerie Blancpain Art Contemporain, Guillaume Pilet s'est enfermé dans une carcasse de polystyrène. Une sorte de «Merzbau» minimum à l'intérieur duquel l'artiste, embastillé volontaire ne dévoile que sa tête. «Comme une manière d'accomplir un fantasme de créateur en me transformant en abstraction». Une rupture de l'anonymat plutôt singulière dans le champ de l'art contemporain mais que le Lausannois pratique depuis sa toute première exposition.
Sur l'invitation de «Baby I Swear It's Deja Vu» à l'espace Bellevaux à Lausanne en 2007, il reprenait la pose de Louise Bourgeois prise en photo par Robert Mapplethorpe. Image célèbre en noir et blanc où la vieille dame de l'art se trimballe un gigantesque phallus de terre cuite sous le bras.
Guillaume Pilet, artiste mimétique? Forcément, on s'interroge. «Je le fais systématiquement pour des raisons très littérales et un peu narcissiques. C'est une habitude qu'on trouve plutôt chez les artistes amateurs. Et chez Martin Kippenberger. Mais lui affectait une posture très romantique de l'artiste qui se place au centre de son oeuvre. Ce qui n'est pas mon cas. En imitant Louise Bourgeois ou Pablo Picasso sur mes cartons d'exposition, l'idée serait de dire que, dans le fond, je ne propose rien de très nouveau.»
Idée baroque
C'est peut-être un peu vite dit. En tout cas à la galerie Blancpain, Guillaume Pilet innove. Pour la première fois, il a conçu ses nouvelles pièces comme appartenant à une vraie série. Comprenez qu'il a levé le pied sur la mise en scène de son travail. Pas de tenture en batik suspendu à travers l'espace, ni de mur spécialement peint pour l'occasion. Mais onze céramiques posées sur des socles couleur anthracite et une vingtaine de tableaux dont une bonne moitié habillée en panthère. En clair, il est passablement question d'animalité dans Pixuresque, intitulé valise qui joue sur le langage. «J'aime les titres qui mélangent les idiomes. Je m'inspire souvent de film ou de chanson de Nat King Cole et d'Ella Fitzgerald pour qui j'ai beaucoup d'admiration. Dans le cas de «Pixuresque» c'est ni vraiment du français ni vraiment de l'anglais. On hésite entre pittoresque et picturesque qui sont dans le fond très proche mais ne veulent pas dire la même chose. Le premier reste strictement lié à la peinture. Le second qualifie un rapport général à l'image. Ce qui, en soi, m'intéresse davantage.» L'image baroque en l'occurrence à laquelle «Pixuresque» renvoie. «Pour autant, ce n'est pas l'époque qui m'interpelle, mais ce moment où les formes deviennent généreuses et qu'avec elles l'art se débride.»
C'est aussi au XVIIIe siècle que l'Europe éclairée retourne à la nature, invente le mythe du bon sauvage et accumule les preuves biologiques de ces origines retrouvées dans des cabinets de curiosité. Chez Guillaume Pilet, les compositions d'animaux, de fleurs et de fruits s'inspirent ainsi de ces céramiques de boudoirs «qui représentaient la faune exotique telle qu'alors on se l'imaginait». On ressort de notre musée mental une faïence de Meissen représentant un cacatoès en colère, la crête en pétard. Sauf que le zoo d'argile de Pilet favoriserait plutôt les apparentements bizarres. «Je suis fasciné par les formes composites, les superpositions un peu absurdes qui parviennent à générer du sens.»
Il a par exemple modelé un macaque accroché à une pyramide de noix de coco, une tête de lamantin qui émerge de l'eau et des plantes turgescentes qui font pas mal galoper la libido. L'artiste assume ce jardin d'acclimatation très stylisé et follement sexué. «C'est une série très sensuelle, c'est vrai. Et un peu morbide aussi.» Dans le sens où ce naturalisme élégant mais dominé par le gris, fait une mine de bestiaire un peu patraque. Même si ces nouvelles sculptures n'ont pas la brutalité fiévreuse de ses oeuvres précédentes. «Je voulais un aspect lisse, appliqué. J'ai pris du temps pour les réaliser. Et puis j'ai pu travailler au centre d'expérimentation et de réalisation en céramique contemporaine de la Haute école d'art et de design de Genève. Profiter d'un vrai atelier, bien équipé, ça change beaucoup de choses.»
Motif sauvage
Mais n'enlève pas le côté archaïque de ce travail qui réveille des souvenirs de l'enfance et le geste primitif de la création. Un goût pour l'oeuvre d'art primale surgit par hasard «alors que j'accompagnais ma mère à un cours de céramique. J'y allais avec pas mal de cynisme et l'intention de copier un service à thé du Bauhaus. J'ai découvert le contact direct avec la matière, une manière instinctive de faire de l'art». Et un moyen de mettre en volume une curiosité sans limite. Un esprit à l'affût qui passe de George Adamski - ufologue frapadingue qui popularisa sans les années 1950 la photographie d'Ovni - à Le Corbusier, qui peut vous citer d'oreille quelle cession de «Summertime» passe à la radio et s'enthousiasme pour les travaux d'Olivier Mosset, de Jean-Luc Manz, de John Armleder et de Francis Picabia, «bref, pour une forme ludique de l'abstraction. Pour moi, la notion de style c'est davantage une question de posture, une sorte d'esthétique de l'action». D'où cette digestion impressionnante de la culture moderne qui remixe en vrac Frank Stella et Ellsworth Kelly, l'avant-garde russe et une bonne partie de l'abstraction suisse. Remarquez, sans non plus assaillir le spectateur de références.
L'influence reste ici une affaire jubilatoire qui peut aussi bien surgir d'un objet de bazar que d'une peau de léopard. Laquelle apparaît sur une dizaine de ses nouvelles toiles. Un vrai motif géométrique à l'état sauvage, un readymade fauve capable de se décliner à l'infini. Un pattern schizophrène à la fois chic et bitchy, carrément revenu à la mode depuis que la vogue fluokid lui a refilé du poil de la bête. «En ce moment je regarde aussi beaucoup cette esthétique Tiki, typique des îles du Pacifique, qui a été passablement utilisée dans l'Art Déco et dans les sixties. Le primitivisme m'intéresse aussi en ce qu'il résonne dans différents moments de l'histoire de l'art.» Et pas toujours où on l'attend. Guillaume Pilet cite de mémoire cette photo de Le Corbusier complètement nu en train de peindre un tableau. «C'est le genre de faille créative qui me passionne parce qu'elle se trouve en chacun de nous.»
Emmanuel Grandjean, journaliste culturel et critique d'art, vit et travaille à Genève
Guillaume Pilet (*1984 à Payerne). Travaille à Epalinges. Expositions personnelles
2009 «Pixuresque», Blancpain Art Contemporain, Genève
2008 «Poco Loco», Galerie Alain Gutharc, Paris; «These foolish things», 20qm, Berlin; «À certain je ne sais quoi», Centre Culturel Suisse (CCS), Paris v2007 «Comsogonic», Forde, Genève; «El mundo no basta», Espace Basta, Lausanne; Baby I swear it's deja vu, Espace Bellevaux, Lausanne
Expositions collectives
2009 «spick-and-span-new», Klara Wallner Gallery, Berlin; Made by Ecal, L'Elac, Renens
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