Emmanuelle Antille - Brass band et danse serpentine: l'élan émancipatoire
Émmanuelle Antille fait danser sa joyeuse parade dans les chambres de la Villa Bernasconi. Le long des couloirs on croise les bayous de la Louisiane avant de s'enfoncer dans les marécages brumeux de l'Amérique noire. Sur fond de musique cajun, le défilé carnavalesque s'immisce et s'ébroue, multicolore et pailleté, dans la belle demeure ancienne.
Emmanuelle Antille - Brass band et danse serpentine: l'élan émancipatoire
L'observation des rituels qui naissent entre les êtres compose le coeur battant du travail d'Emmanuelle Antille. Derrière sa caméra, elle explore les liens qui se tissent, les communautés qui se forment, les corps qui se frôlent et s'apprivoisent. Elle filme ces liens, tangibles ou tacites, qui se parent de cérémonial ou semblent aller de soi, et qui agissent comme les fondements d'une association indéfectible. Par le biais de la photographie, la vidéo, le cinéma ou l'installation, Emmanuelle Antille montre aussi bien des êtres singuliers que son entourage proche. Dans des mises en scène qui côtoient le documentaire tout en revêtant les couleurs de la fiction, elle construit son territoire, un espace-temps suspendu entre réalité et rêve.
Après avoir scruté ses parents et scénographié des rituels familiaux réinventés (‹Wouldn't it be nice›, 1999), elle s'est intéressée aux groupes d'adolescents (‹Tornadoes of My Heart›, 2004-2005). Au plus près des expressions, la caméra effleure les visages, elle s'attarde lentement sur les gestes, les regards. Et compose un portrait collectif qui met en exergue autant la fragilité que l'énergie des protagonistes. Puis ce sont les illustres tatoueurs lausannois Leu qui deviennent le sujet de plusieurs séries de travaux (‹Leu's Family Iron›, 2007). Qu'ils soient adolescents, tatoués ou proches, les êtres déambulent dans les vidéos comme les personnages d'une histoire intime: Emmanuelle Antille filme les autres et c'est elle-même qui se raconte.
Gestes, codes et rituels
Le premier salon de la Villa Bernasconi s'ouvre sur une projection. Un cortège de personnages grimés, chapeautés et costumés s'effile le long de paysages mi-urbains, mi-champêtres, bientôt englouti par une forêt. Ce défilé d'une cinquantaine de personnes inonde l'espace d'exposition de couleurs chamarrées et d'éclats sonores entraînants. Entre les personnages, des liens de camaraderie et de complicité semblent se nouer dans la désinvolture gaie d'une promenade musicale. Emmanuelle Antille filme sa communauté d'amis, sa tribu. Au son de cigar box guitars, ils s'égrènent, dansent et tournoient dans des mouvements serpentins, inspirés des chorégraphies de Loïe Fuller. Instruments, attitudes, vêtements, tout s'entremêle, à l'instar de la vie même. En marge de la ville, la nature apparaît comme le dernier refuge d'un rapport au monde harmonieux. Dans son parcours buissonnier, le cortège chatoyant y trouve un espace de liberté, primitif et archaïque, sauvage.
Alentour, dans l'espace redevenu domestique de la Villa, les costumes utilisés lors du défilé sont dispersés, sobrement présentés. Confectionnés durant de longs mois par Antille et la créatrice Daniela Party, selon des procédés plus empiriques que définis, ils deviennent ici le prolongement matériel et tangible de l'image projetée. Plumes, perles, satins, brocards, soies, crêpe, tulle et autres taffetas invitent à la caresse. Ils offrent une surface de projection habitée de multiples souvenirs. Ces costumes évoquent le musée de Tremé à La Nouvelle-Orléans où s'amoncellent les collections de vêtements majestueux qui ont servi lors de la parade annuelle de Mardi Gras. Lieu symbolique, ce musée (The New Orleans African, American Museum of Art, Culture and History) contient une partie de la mémoire métissée de la culture afro-américaine et créole de Louisiane.
Plus loin, une série de photographies retranscrit fragmentairement le voyage de l'artiste en Louisiane. En suivant une géographie musicale, Antille a capturé les endroits imprégnés d'une certaine histoire noire américaine, refuges de la lutte antiségrégationniste, lieux de résistance, espaces exutoires et festifs, ceux qui ont vu naître la musique zydeco, à partir d'influences africaines, de musique soul, de rhythm'n'blues et de blues. La musique traduit ce métissage entre les communautés indiennes, blanches, africaines et françaises, dont les traditions se sont amalgamées les unes aux autres. Ne serait-ce pas cela justement, le récit communautaire auquel tend Antille ? La fusion des genres et des catégories, l'enchantement créateur, l'élan émancipateur et la musique comme élément rassembleur.
Pour son exposition genevoise, elle met en scène ce que pourrait être cette communauté aujourd'hui. Une communauté de travail ou d'amis. Une communauté idéale. Celle qui permettrait à chacun de s'épanouir dans la complicité d'un engagement réciproque. De mettre en commun le fardeau du monde pour s'en amuser, comme s'il n'avait plus d'importance. Et qui place la musique et la danse au coeur du quotidien. Le motif de la parade de carnaval sert de métaphore à cette réflexion. La parade incarne ici la possibilité d'une collectivité en harmonie, festive, créative, décomplexée et hors du temps. Elle permet de dérouler un voyage imaginaire et folklorique qui, d'une part, s'immerge dans les bayous du Mississipi pour s'adosser aux traditions de la communauté noire américaine, et de l'autre convoque la tribu des amis et des proches pour créer un rassemblement vibrant et libre.
À la Villa Bernasconi, entre le salon et le grenier, dans les multiples chambres d'hôtes, Antille convie quelques-uns des artistes avec lesquels elle a collaboré ces dernières années. L'artiste Romain Kronenberg, musicien et vidéaste, présente quatre films. À eux deux, ils croisent leurs références et leur semblable intérêt pour l'intime, les rituels, et une même attirance pour une forme d'utopie sociétale. Et chacun invite à son tour artistes et collaborateurs à se mêler à la fête, à occuper le territoire disponible, à construire une nouvelle communauté. Et à danser sur un air créole.
Séverine Fromaigeat est historienne de l'art et curatrice. severine.fromaigeat@bluewin.com
Firewalk, Villa Bernasconi, avec la collaboration notamment de Daniela Party, Carmen Jaquier, Joakim Chardonnens, Christian Pahud et les danseurs du Marchepied.
Emmanuelle Antille (*1972, Lausanne) vit à Lausanne
1991-1996 École supérieure d'art visuel, Genève
1997-1998 Rijksakademie van Beeldende Kunsten, Amsterdam
1998, 1999 et 2000 Prix fédéral d'art
2000 et 2001 Bourse Kiefer Hablitzel
Expositions personnelles
2013 ‹L'Urgence des fleurs›, Ferme-Asile, Sion
2010 ‹Restrain & Release›, Musée de Pully
2009 ‹Strings of Affection›, Duplex, Sarajevo
2008 ‹Family Viewing›, Centre PasquArt, Bienne
2006 ‹Tornadoes of my Heart›, Tokyo Wonder Site, Tokyo
2005 ‹Kill me twice, dear friend, dear enemy›, Centre pour l'image contemporaine Saint Gervais, Genève
2003 ‹Angels Camp›, Pavillon Suisse, Biennale de Venise
1999 ‹Until nothing can reach us›, Kunsthaus Glarus, Glarus
1998 ‹Training Lounge›, Attitudes, Genève
Institutionen | Pays | Ville |
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Villa Bernasconi | Suisse | Genève |
expositions/newsticker | Date | Type | Ville | Pays | |
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Emmanuelle Antille, Romain Kronenberg | 30.05.2015 - 19.07.2015 | exposition | Genève |
Suisse CH |
Emmanuelle Antille |
Séverine Fromaigeat |